Septembre 2020 : le gouvernement français présente son plan « France-Relance » pour faire face à la crise économique provoquée par la Covid-19.
Le volet « écologie » du plan prévoit un fond de 300 M€ dédié au recyclage des friches. Une telle décision réaffirme la volonté croissante des autorités de mieux préserver les zones rurales de l’urbanisation, en construisant la ville « sur elle-même » et en favorisant la restauration de friches auparavant abandonnées.
En mars 2014, certaines dispositions de la loi ALUR (Accès au logement et à un urbanisme rénové) avaient déjà exprimé cette nécessité. À cette date en effet, près de 80 % de la population française était citadine. Notre pays doit ainsi faire face au phénomène de l’artificialisation des sols et à la perte de terres fertiles, conséquences de l’expansion des villes.
Reste que la qualité chimique des sols est souvent mal connue, tout particulièrement dans les zones urbaines. Au cours de leur histoire, les villes accueillent en effet de multiples activités artisanales et industrielles. Leurs sols sont soumis au dépôt d’émissions atmosphériques diverses : rejets des usines, trafic routier, chauffages collectifs et individuels… De plus, il s’agit souvent de remblais parfois constitués de matériaux préoccupants du point de vue environnemental.
Il est donc nécessaire de connaître ce qu’on appelle les « fonds pédogéochimiques » : pour un territoire donné, les concentrations naturelles d’éléments ou de substances persistantes dans le sol, en dehors de tout apport lié aux activités humaines, constituent le « fond pédogéochimique naturel » (FPGN). Le FPGN et les concentrations diffuses dues aux activités humaines constituent le « fond pédogéochimique anthropisé » (FPGA).
Ces concentrations diffuses proviennent des retombées des émissions atmosphériques, proches ou lointaines, des substances introduites par les pratiques agricoles ainsi que des zones étendues de remblais d’origine naturelle. Le FPGA est donc compris entre des seuils, appelés valeurs de fond, qui le distinguent du FPGN et des concentrations relevant des anomalies provoquées par les activités humaines.
Dans ce contexte, la politique nationale de gestion des sites et sols (potentiellement) pollués s’appuie sur ces « fonds pédogéochimiques », en particulier dans les démarches de diagnostic de site et de gestion des terres excavées.
Diagnostiquer les sites
En cas de suspicion de pollution, le diagnostic du site permet d’évaluer son impact sur le sol, l’air et l’eau souterraine. Pour mesurer le degré de dégradation du sol, on le compare à des sols voisins sains, dits « témoins », et au fond pédogéochimique local.
Cette approche constitue l’une des composantes clés de la méthodologie de gestion des sites et sols pollués, mise en place depuis 2007 par le ministère chargé de l’Environnement, avec l’appui du BRGM et de l’Ineris.
Mieux valoriser les terres excavées
La reconquête des friches passe souvent par l’excavation de grandes quantités de terres qui prennent le statut de déchet dès qu’elles quittent les sites émetteurs, qu’elles soient polluées ou non. Longtemps, ces terres ont le plus souvent été stockées dans des centres d’enfouissement, lesquels arrivent parfois à saturation, notamment en Ile-de-France. Pour répondre à cette situation, l’Ineris et le BRGM ont produit des guides de caractérisation et de valorisation des terres excavées.
Dès 2012, le BRGM a spécifié que l’une des conditions nécessaires à cette valorisation repose sur la caractérisation des terres nécessitant d’être excavées et susceptibles d’être réutilisées, pour vérifier si leurs propriétés chimiques sont cohérentes avec le fond pédogéochimique, naturel ou anthropisé, local.
En 2020, cette approche a été consolidée dans deux guides de valorisation hors site des terres excavées, issues ou non de sites et sols pollués.
Déterminer le « fond pédogéochimique »
Les bases de données disponibles sur les sols, habituellement utilisées comme référence, ne couvrent pas l’ensemble du territoire, notamment les villes, et considèrent principalement les substances métalliques (plomb, cuivre, zinc, chrome, mercure, nickel…). Par conséquent, elles ne contiennent souvent pas d’analyses sur les molécules organiques toxiques persistantes dans l’environnement, telles que les polychlorobiphényles (PCB), les dioxines ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).
Ces bases de données ne répondent donc pas pleinement aux besoins des acteurs du domaine des sites et sols pollués pour estimer le FPGA.
Une base de données constamment enrichie
En 2009, l’Ademe et le BRGM ont vu dans l’opération « Établissements sensibles » une opportunité pour développer une base de données des analyses de sols urbains (appelée BDSolU), spécialement dédiée à la détermination des fonds pédogéochimiques.
Améliorer la connaissance de la qualité chimique des sols -
© Alain Brunet
Améliorer la connaissance de la qualité chimique des sols. Alain Brunet, CC BY-NC-ND
L’opération « Établissements sensibles » visait le diagnostic des établissements accueillant des populations vulnérables (enfants et adolescents) construits sur ou à proximité immédiate des anciens sites industriels ou activités de services recensés. Répartis sur toute la France, ces établissements ont été construits à une époque où l’on ignorait certains enjeux sanitaires et environnementaux.
Conduite selon la méthodologie nationale de gestion des sites (potentiellement) pollués, cette démarche a permis de collecter les résultats de nombreuses analyses de sols témoins. L’objectif de BDSolU est de produire des valeurs de fonds pédogéochimiques, en particulier dans les zones urbaines, pour servir de référentiels lors de futurs diagnostics et en cas d’excavation de terres.
En plus des données récoltées durant cette opération « Établissement sensibles », BDSolU a aussi initié la bancarisation des données recueillies au cours d’autres projets. Et les collectivités disposant d’analyses de sols sont invitées à contribuer à l’alimentation de la base, avec l’aide de l’Ademe pour lancer de nouvelles collectes.
Toutefois, le processus de détermination des fonds pédogéochimiques demeure une opération complexe dépendant de nombreux paramètres (géologie, pédologie, occupation des sols…). Aujourd’hui, plusieurs méthodes coexistent et varient selon les auteurs et les contextes spécifiques de chaque pays.
En 2018, un groupe de travail soutenu par l’Ademe a produit deux guides de détermination des valeurs de fond à l’échelle d’un territoire et d’un site. Pour autant, le calcul de ces valeurs fait encore l’objet de travaux de recherche.
Cette étude est désormais conduite dans le cadre du Gis-Sol avec pour objectif d’aider les aménageurs à informer les populations, tout en favorisant de meilleures pratiques pour les diagnostics des sols et l’aménagement du territoire ; créé en 2001, le Gis-Sol, (Groupement d’intérêt scientifique-Sol) constitue et gère un système d’information sur les sols de France.
À terme, les urbanistes et les citadins devraient obtenir une compréhension toujours plus approfondie de la qualité des sols, que ce soit en matière de gestion des pollutions, de protection de la santé ou dans le cadre d’études d’impact, d’états des lieux, d’évaluations post-accidentelles ou encore de création de sols fertiles.
Jean-François Brunet, Ingénieur sites et sols pollués, BRGM
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.